1/16/2018

Une femme douce (Robert Bresson, 1969)


Vu ce soir dans les "Deux dammes sérieuses" de Pierre Eugène et Maire Anne Guérin.

Ou comment Bresson trouve dans ce mauvais mariage le bon mariage entre sa mise en scène et son récit. Son art de l'amorce, toutes ces mains coupées, ces jambes et ces torses morcelés par le cadre et qui nous invitent à imaginer ou à désirer voir "ce qui déborde" (le corps dans son intégralité), trouve "sa moitié" dans un récit qui séduit plus par ce qui nous ôte que par ce qui nous donne dans sa fuite permanente.

Il y a d'abord les absences de la femme. Comment les comblent l'imagination du mari ? Par la jalousie et le soupçon de l'adultères (on ne saurait pas tout à fait de quoi il s'agît et de toute façon on s'en fout : il n'y a que l'imaginaire qui compte ici, pas les preuves). Mais il y a une absence encore plus grande : ce qui s'est passe avant le début de la narration et qui est expliqué dans un court dialogue, clé émotionnelle du film : le mari, qui gère un "cash express" dans le même immeuble où il habite, avait travaillé dans une banque de laquelle il a été viré. Il a même vécu presque comme un mendiant pendant plusieurs années. On comprend alors son rapport matériel et simple à l'argent, la rigueur qu'il s'inflige à lui même pour survivre car, en quelque sorte, il a déjà été mort une fois. Son histoire à lui était déjà bouclée d'avance... Et celle du couple aussi, le film commençant par le suicide de la femme. Pas d'issue possible. Nulle part. Jamais.

Nous avons donc une femme qui s'échappe et s'ouvre vers un ailleurs (de la pièce de théâtre, qui la poussent à courir rentrer à la maison pour vérifier son volume de Shakespeare, des tableaux du livre d'art, qui la propulsent directement au musée où elle les contemple). Son amour aussi s'échappe et s'ouvre, pratiquement envers tout le monde (sa générosité avec les clients, sa façon d'inclure les singes dans la catégorie des femmes, lors de la séquence du zoo, impressionnante de précision et beauté). Et nous avons un cinéaste qui, nous donnant envie de voir plus grand, semble partager le sentiment de la femme sans besoin de le montrer.

Mais nous avons aussi deux cadres qui empêchent finalement tout ailleurs : celui de Bresson et celui du mari, la maison, et tout ce que le mari possède là, dans cette pièce mortifère où ne bougent que les voitures, avions et chevaux qu'on voit à la télé, cette pièce à laquelle, malgré toutes les sorties qu'ils font au début du film, ils finissent inévitablement par revenir s'enfermer, manger une soupe, faire des mots croisées, dans une putréfaction sèche, si cela existe ailleurs que dans Tristana de Buñuel. Sauf que un cadre ne suffit pas : elle s'échappe toujours, dans la musique, au milieu de cette nature morte. C'est pour ça que, quand elle accepte de rentrer dans cette maison pour un sinistre remariage, on comprend que se réconcilier c'est mourir. Le mariage est perçu avec la raideur du sacré (le pyjama et la chemise de nuit parfaitement étirées sur le lit), mais tout ce qui est sacré l'est parce que c'est aussi mort. Voilà un film qui était fini avant avoir commencé. Il s'était fini ailleurs. Et on en sort en regardant toujours ce qui dépassait, intouchable, et tout ce qui ne changera jamais.

9/16/2017

Meilleurs films français depuis l'année 2000

Si je devais choisir les meilleurs films français de la période 2000-2017, je pense je choisirais entre :

Je ne suis pas morte, Jean-Charles Fitoussi
Un petit cas de conscience, Marie Claude Treilhou
Triple Agent, Eric Rohmer
L'Adolescent, Pierre Léon
La Fille de nulle part, Jean-Claude Brisseau
Film Socialisme, Jean-Luc Godard
Itinéraire de Jean Bricard, Jean-Marie Straub et Danièle Huillet
De la guerre, Bertrand Bonello 
Madame Hyde, Serge Bozon
Les amants réguliers, Philippe Garrel
36 vues du Pic Saint Loup, Jacques Rivette
La Demoiselle d'honneur (ou Bellamy), Claude Chabrol

Mais j'en oublie, sans doute.

12/12/2016

Souvenir d'un prof

Il arrivait chaque matin avec le même lot sous le bras : un journal sportif, un carton de vin rouge bon marché et un rouleau de papier toilette. Et sans dire bonjour, il nous donnait des ordres. Il était mince, le nez rouge, les cheveux blancs, une moustache épaisse et toujours brune. Chaussures modestes, pantalon gris, blouson en cuir, aucun sourire. Il était prof' de sport, notre prof' de sport. Joaquín Pardo. Sévère, triste, solitaire, il ne fraternisait pas trop avec les autres profs, et il était impossible de l'imaginer en pleine discussion banale ou sur le fonctionnement de l'école. Impossible surtout de l'imaginer papoter avec les curées qui la dirigeaient. En fait, je n'ai aucun souvenir de lui en train de discuter avec quelqu'un, sauf très vaguement.

Grâce à des amitiés de mon père j'ai appris qu'il n'avait pas été n'importe qui auparavant. Il avait été un très bon athlète (spécialité : saut) et un joueur de foot assez digne dans les années 1950 (notamment réputé par sa puissante frappe, redoutable aux tirs francs, etc). Sa façon de marcher m'impressionnait beaucoup. Les mains souvent derrière le dos, il avançait chaque pied avec un élan bizarre, imprimant une accélération au moment d'étirer totalement la jambe avant toucher le sol. Comme s'il avait quelque chose collé aux pointes de pieds et qu'il essayait de s'en débarrasser petit à petit, à chaque pas. Cette démarche lui donnait une allure militaire, mais j'ai compris que s'il marchait comme ça, c'était pour ne jamais oublier la bonne technique d'appui quand on court avant le saut.

Sa dureté s'est très vite transformé en tristesse pour moi, et c'est pour ça que je l'ai toujours apprécié. Il pouvait énerver mes camarades avec ses insultes et punitions (plutôt rares, mais ses techniques d'humiliation étaient très inventives, comme quand il a dit à quelqu'un qui parlait pendant l'explication du cours "mets ta langue dans ton cul et compte jusqu'à vingt !"), pour moi, elles n'étaient qu'une mascarade, une façon de se débarrasser de nous. Je l'ai un peu déçu, je pense, car j'avais une bonne aptitude physique pour certaines épreuves, mais je ne me battais pas pour être un des plus forts. Avec notre uniforme sportif (shorts bleus et t-shirt blanc) on courrait en cercle, on se tapait dans les cuisses pour ne pas avoir froid, et il y avait là comme une espèce de beauté poétique de la dureté. Pas la nôtre, mais celle des autres, comme si cette fiction nous permettait de comprendre comment la vie peut être dure pour d'autres gens, comme les militaires, les paysans qui travaillent tôt le matin, les ramasse poubelles. Surtout, je pensais beaucoup aux gens plus âgés que moi, et à leur jeunesse ingrate. En outre, notre prof nous a aussi appris la beauté de certains sports, comme la boxe, même si depuis tout petit j'aimais beaucoup déjà. Je détestais ce lycée, mes camarades, cet endroit, cette ambiance violente, égoïste, méchante, basse. Mais lui, qui était dur, antipathique, triste, alcoolique, je l'aimais bien. Aujourd'hui, il doit avoir 80 ans.

Débout, deuxième de droit à gauche (le seul avec des manches courtes), Joaquin Pardo, notre hirsute prof' de sport.


12/05/2016

Les 10 plus beaux films du cinéma français

L’Amour l’après-midi, Eric Rohmer, 1970
Gueule d’Amour, Jean Grémillon, 1937
Faubourg Saint-Martin, Jean-Claude Guiget, 1986 
Mon père avait raison, Sacha Guitry, 1936 
La Règle du jeu, Jean Renoir, 1939
Pierrot le fou, Jean-Luc Godard, 1965
Regain, Marcel Pagnol, 1937 
L'Amour c'est gai, l'amour c'est triste, Jean-Daniel Pollet, 1968
Je ne suis pas morte, Jean-Charles Fitoussi, 2008 
Femmes Femmes, Paul Vecchiali, 1974

+ La filmographie de Jean-Claude Biette, car je changerais de film chaque jour. 

12/02/2016

Fin de soirée

C'est un moment fascinant qui se produit surtout à Paris, peut-être parce qu'on a l'habitude d'assister à des diners chez des gens, même à les organiser, peut-être aussi parce qu'il y a toujours un dernier métro à ne pas louper. Au fur et à mesure que la fin de la soirée s'approche, la conversation languit. On pense à ce qu'il faut faire en rentrant, le lendemain matin, on s'éloigne de notre interlocuteur, dans notre tête. Puis, on dit "je ne vais pas tarder" pour dire "j'y vais" plus poliment. Tout le monde se lève, invité et hôte. Ce dernier s'habille, si c'est l'hiver, avec manteau, écharpe, voire bonnet et gants. On s'embrasse et, déjà à côté de la porte, presque la main sur la poignée, un dernier sujet de discussion arrive. Ce dernier sujet de discussion s'avère souvent être particulièrement animé, comme si savoir qu'on va se quitter, savoir que le sujet arrivera abruptement à la fin, donnait un étrange élan à cette discussion éphémère, justement parce qu'elle est éphémère, parce qu'elle ne mène à rien. Le débit s'accélère, la sincérité s'intensifie, tout comme l'empathie. Aussi, on a chaud, car trop habillés. C'est un plaisir et un malaise car l'on sait que cette impression que la soirée a été vraiment habitée, que les discussions ont été riches, ne est dû qu'à la fausse illusion engendrée par cette fausse discussion finale. On y met fin précipitamment, car il faut vraiment y aller, ça rajoute de l'excitation même, on se promet de reprendre le sujet la prochaine fois qu'on se verra. Mais, on sait que la prochaine fois, le sujet va s'épuiser très vite, que cela ne sera pas pareil, que ce n'est pas finalement si passionnant que ça, ce qu'on se raconte en ayant trop chaud à cause du manteau et de l'echarpe, la main presque sur la poignée de la porte.

12/01/2016

Top 2016

Ceci est un top des sorties commerciales en salles françaises. Donc un top pas intéressant du tout, mais pour l'instant cela reste la règle du jeu. En outre, j'ai loupé énormément de trucs.


Visite ou Mémoires et confessions, Manoel de Oliveira
Un jour avec, un jour sans, Hong Sang-soo
Deux Rémi, deux, Pierre Léon
Stefan Zweig, Adieu à l'Europe, Marta Schrader
Les Huit salopards de Quentin Tarantino
Sully, Clint Eastwood
The Assassin, Hou Hsiao Hsien
Tu ne tueras point, Mel Gibson
Le BGG, Steven Spielberg
Love & Friendship, Whit Stillman


11/30/2016

Los límites del control



Aunque en este lugar acostumbro a escribir en francés, esta vez lo haré en español puesto que si algún despistado llega aquí interesado por el tema, al menos en este momento, lo más seguro es que hable castellano. Me refiero a uno de los muchos momentos tremendos que tuvo el Festival de Mar del Plata: la presentación de los dos primeros episodios de La flor, de Mariano Llinás.
Lo que vimos no fue, pues, más que un teaser, en realidad, uno de tres horas, pero un teaser al fin y al cabo. Por esa razón no es fácil escribir de ella. Claro que tres horas bastan y sobran para ver por dónde van los tiros de una película, por larga que sea, pero insisto en ello porque la duración de La flor modifica poco a poco nuestra percepción de la película de forma mucho más sutil de lo que parece. Me explico: está claro que la aceptación o rechazo que pueda provocar están relacionados con la idea de control. El control del cineasta sobre el espectador (y La flor es una película que casi nos agarra de las orejas para meternos en la pantalla) e incluso sobre las actrices (no son ellas quienes rigen la puesta en escena, salvo en algunos momentos, claramente los mejores de la película -el largo intercambio entre Pilar/cantante y Laura/asistente, donde ellas transforman y dirigen la película, que  las sigue).
El control es un tema delicado: lo aceptamos en el cine clásico, ya bien embotellado, empaquetado, donde gracias a filtros perfectamente catalogados sabemos qué está bien y qué está mal (aunque se pueda discutir, deo gratias), y cuesta encontrar un cinéfilo que no celebre, por ejemplo, la capacidad de Hithcock para dirigir nuestra mirada y anticipar o decepcionar nuestras reacciones (se le llama el Maestro del universo y nadie lo percibe como peyorativo). Pero, en una película actual, control significa censura, imperialismo, ambición desmesurada, pomposidad. Salvo De Palma, Almodóvar o Tarantino, prácticamente no se acepta a ningún cineasta que nos haga sentir que estamos en sus manos y que nuestros ojos y orejas dependen de él. La flor comienza con un fragmento en el que Llinás nos explica cómo van a componerse los episodios. Puede parecer un recurso de cineasta avispado, de un listillo que pensó en todo y nos lo dice. Pero todo lo que Llinás pensó se reduce puramente a la forma, al relato y a la dramaturgia, es decir, lo mismo que interesaba a los cineastas sabelotodos clásicos y lo cual les diferencia de los sabelotodos actuales (Miguel Gomes, por ejemplo, piensa más en lo que existe fuera de su película que en esas tres cosas, de ahí que le salgan pobres juegos de moda). Por esta razón, es la duración misma de la película la que vuelve esta idea de control interesante. En primer lugar, por el siguiente desafío, arriesgado y aventurero: ¿Puede sostenerse un gesto tan desmesurado con las meras herramientas que otros muchos, sobre todo en Hollywood o acaso en el Powerty Row, usaron ya con maestría? En segundo lugar, porque el control se "desplaza" poco a poco. La duración y la sucesión de episodios diferentes (aunque sólo hayamos visto dos, ya se percibe), crea una especie de super star system warholiano en el interior mismo de la película. Conforme pasa el tiempo, nos identificamos a Laura, Pilar, Elisa y Valeria del mismo modo que uno se identifica más con Cary Grant que con Roger O. Thornhill. Es algo viejo y conocido pero una película como La flor, un cine como el de Llinás necesitaba de este "dispositivo" (si se quiere, palabra horrible), de esta duración, de esta fuga por la ficción, para que terminen siendo ellas las que nos controlen.
Ahí está precisamente lo delicado de esta (creo, gran) película en curso: hay que dejarla vivir, hay que dejarse agarrar por las orejas pues nada en ella se justifica por sí misma. Por ejemplo, el principio formal de "personaje en primer término + fondo fundido" (una chica en primer término llora, al fondo adivinamos un coche desenfocado, una figura que sale, que se acerca, que entra en foco, es un hombre) no es nada nuevo a estas alturas pero la duración de la película nos revela hasta qué punto se convierte en un juego formal en sí mismo, una fantasía abstracta (personajes enlutados que se alejan del foco y se desvisten, pasando de ser manchas negras a ser manchas blancuzcas). Más: una composición un tanto ingrata (ej: Laura mirando a través de una mirilla en primerísimo primer plano con una música hitochcockiana) puede convertirse en armónica (de pronto su ojo se mueve, expresa, y se pone en acorde con la música). Más todavía: la segunda historia comienza con un personaje grabando una canción. Su aspecto es patético, su voz peor aún, es un plano casi cruel. La historia avanza, comprendemos el dúo musical que forma con su pareja, y lo que en principio parecía ridículo se torna en armonía y concluye con la grabación final del tema con ambos presentes en la que todo encaja y ya no da risa.
La Flor es así, tiene algo incómodo, es una especie de cuadro en noche americana en el que nada trasluce si no se deja durar. Es un poco como Ivan Lendl, tenista que por ejemplo en Francia no gustaba por su aspecto hirsuto, su juego de fondo, su falta de alegría para subir a la red... pero que al final no sólo ganaba, sino que convertía lo que parecían recursos pragmáticos y antiestéticos en nuevas formas. La flor no es una película con excusas, sino una película sin facilidades. Una película que busca existir solamente por sí misma y para sí misma. Sólo falta saber ponerse enfrente y devolverle la pelota. Aún nos quedan dos sets.